Passage à l'acte sans motif conscient

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Je vous livre ci-dessous, le témoignage d’Aurélie, jeune femme aujourd’hui âgée de 26 ans, qui nous raconte l’expérience troublante qu’elle a vécue alors qu’elle était encore une enfant d’une huitaine d’années. 

Ce récit met en exergue, un processus inconscient qui aurait pu la conduire à « l’accident » si sa maman n’était intervenue à temps, alertée par, on peut le remarquer, l’intuition fulgurante que sa fille est en danger.

 

Ce pressentiment est un élément important, rapporté par de nombreux proches de « suicidants ». Une angoisse sourde, un sentiment qu’il se passe quelque chose d’inhabituel.

Et justement, la maman est arrivée auprès de sa fille, suffisamment tôt pour que l’enfant stoppe le geste qu’elle est en train d’accomplir, et qui aurait pu se révéler fatal s’il avait abouti.

Par ailleurs, il est intéressant de lire les étapes qui emmènent Aurélie, à mettre en scène et préparer de façon très efficace ce que d’aucun de nous, à l’instar de sa maman, ne pourrait s’empêcher d’interpréter comme une mise en danger inconsciente pour sa vie.

Le contexte familial d’Aurélie, était source de souffrances. Que doit-on comprendre des conséquences graves qu’auraient pu commettre les jeux de l’enfant ?

Quelles réponses, suivi thérapeutique, sont apportés à Aurélie, qui est encore aujourd’hui marquée par cet événement, non pas par l’acte en lui-même, dont elle ne garde aucun souvenir, mais par la force de l’inconscient qui la poussait inexorablement à mettre sa vie en danger.

Que des pensées suicidaires puissent animer un jeune enfant est tout simplement impossible à accepter pour les adultes que nous sommes. Face au décès imprévisible d’une fillette ou d’un garçonnet, la thèse de l’accident ou du geste inconscient prévaut.

Sommes-nous prêts à accepter que nous pourrions avoir, parfois sans en avoir conscience, des idées suicidaires et agir dans ce sens malgré nous ?

Quelle pédagogie dispenser dès enfance, pour développer la conscience et le libre arbitre de chacun de nous ?

Voici la lettre d’Aurélie, telle que je l’ai reçue le 27 août 2020.

 

Le suicide.
Encore un sujet class
é dans la case « tabou » par notre société et qui, pourtant, touche une grande partie de la population, enfants comme adultes. Beaucoup y songent, une minorité passe à l’acte


La plupart des gens pensent que ce passage à l’acte est quelque chose de conscient, que la victime sait de A à Z comment s’y prendre.
Je suis plutôt d’avis de dire qu’il existe plusieurs « types de suicide ».

Je tiens à préciser que je ne suis pas psychologue ou spécialiste de la question.
Je partage simplement une pensée selon mon expérience et mon ressenti.
 
Car oui, comme beaucoup j’ai eu, et parfois je continue d’avoir, des idées noires.
La particularité étant que ces idées ont commencé à émerger, bien que de manière inconsciente, lorsque j’avais 8 ans, 8ans et demi.
Pas un âge approprié pour penser à un tel acte, n’est-ce pas ? Laissez-moi vous expliquer davantage le contexte de cette période de ma vie assez particulière.

Je m’appelle Aurélie, fille unique, j’ai grandi au milieu d’une famille où l’amour et la solidarité ne règnent pas.
Pour ce qui est de mes parents, notamment mon père, aussi loin que remontent mes souvenirs, je l’ai toujours connu violent avec moi. Parfois physique, parfois psychologique, le résultat de cette violence a été désastreux sur mon moral et sur ma confiance en moi.
Tous les ans, sur mes bulletins scolaires, j’avais droit à « n’a pas confiance en elle » de la part de mes professeurs (j’en souffre encore aujourd’hui, bien que je le cache derrière un semblant d’assurance).
Lorsque j’avais environ 7 ans, mes parents ont commencé à ne plus s’entendre et à « étaler » leur mal-être devant mes yeux.
C’est ainsi que j’ai pu être le témoin, entre autres, de la main ensanglantée de mon père résultant d’un coup de fourchette (je me souviens également du « t’as vu ce que ta mère m’a fait ? » que m’a lancé mon père en me montrant sa main) ou d’un cendrier lancé à la tête de mon père par ma mère qui a fini sa course dans le mur.
Autant vous dire que j’ai connu l’univers de la justice assez tôt. Heureusement les avocats étaient plutôt sympas.

Puis un jour, après quelques mois de procédures, mon père est parti de la maison.
Je rentrais de courses avec ma mère et lorsque nous sommes arrivés, toutes ces affaires avaient disparu.
Quel soulagement ! J’avais 8 ans, je me disais que j’allais enfin pouvoir être libre, de ne plus avoir peur de mon père.
Le problème était que ma santé mentale était loin d’être bonne.
En échec scolaire, j’étais également suivi par des psychologues.
Étonnamment, je me souviens très bien des lieux, des espaces de l’établissement, mais impossible de me remémorer ce que j’ai pu dire pendant mes entretiens.
Ils me faisaient jouer tout en me posant des questions. Mon inconscient a certainement fait tout le travail, d’où ce « trou noir ».

Malheureusement, se remettre de ce genre d’épreuves prend du temps et la situation à l’école n’arrangeait rien. Je n’ai jamais eu beaucoup d’amis, mais les années à l’école élémentaire ont été les pires de ma vie sur le plan scolaire. Entre ce qui se passait chez moi et les petits moments de harcèlement et les grands moments de solitude, mon enfance n’a pas été des plus heureuse. A l’époque, la seule chose qui arrivait à me calmer et à penser à autre chose était le Judo. J’en ai fait pendant 7 ans avant de me balader entre l’escalade, la natation, et de finalement continuer avec le tir-à-l ’arc. J’avais également une certaine passion pour l’univers d’Harry Potter depuis que j’avais vu le 1ᵉʳ film que ma mère m’avait offert. Je me suis donc réfugiée dans le dessin et la reproduction des emblèmes des 4 maisons. J’avais même construit un balai avec des feuilles blanches que j’avais pliées et peintes. Pour le costume, j’utilisais mon peignoir ainsi qu’une de mes ceintures de judo qui avait comme couleurs orange et jaune (l’orange tirait plus sur le rouge de mon point de vue) pour m’en servir comme cravate. Cependant, sur le plan mental, bien que mon état se fût amélioré, tout n’était pas rose pour autant.

Puis, vint un jour ou ma mère, inquiète ne plus m’entendre jouer, arriva dans ma chambre pour voir ce qu’il se passait. Elle me vit donc avec une ceinture en guise de cravate autour du coup, proche de ma fenêtre. D’après ses dires, je regardais le crochet qui se trouvait du côté extérieur de ma fenêtre et avec un bout de la ceinture, que je tenais dans une main, j’essayais de l’atteindre. Pourquoi « d’après ses dires » ? Tout simplement parce que je ne me souviens pas de mes gestes et que c’est elle qui m’a racontée la scène bien des années plus tard. J’ai souvent utilisé cette ceinture comme cravate, mais l’idée de me pendre avec ne m’a jamais effleuré l’esprit, du moins, pas de manière consciente. Avec le recul, j’en ai donc déduit que mon inconscient a dominé mes gestes du début à la fin et encore aujourd’hui, je n’ai pas toutes les réponses. Que s’est-il passé ce jour-là ? Est-ce que mon inconscient « souhaitait » que je passe à l’acte ? Était-ce ma manière « d’appeler à l’aide » ? Est-ce que ma mère a eu peur pour rien ? N’a-t-elle pas analysé la situation trop vite pour finalement tirer des conclusions trop hâtives ? Toutes ces questions, et bien d’autres, tournent encore dans ma tête aujourd’hui… Quelle force incroyable a cette entité que l’on appelle « inconscient », n’est-ce pas ? À bien y réfléchir, je dois dire qu’elle est presque terrifiante du fait de sa nature incontrôlable et ce qu’elle est capable de nous faire faire. D’une certaine manière, selon la situation, nous sommes sa marionnette. Aurai-je les réponses à mes questions un jour ? Je ne pense pas et, au fond, je ne sais pas si je le souhaite. Je continue de vivre, traînant cette enfance comme un prisonnier traîne ses chaînes et son boulet. Je ne suis pas du genre à regarder en arrière en général. Lorsque je tourne une page, c’est définitif. Cependant, il arrive que notre passé nous rattrape, mais le résultat n’est pas toujours négatif. Il faut donc savoir l’accueillir, lui pardonner, ou nous pardonner. Pendant longtemps j’ai été incapable d’évoquer sereinement ce chapitre de ma vie avec les personnes m’entourant. Il m’a fallu du temps, parfois de l’aide, mais aujourd’hui je n’ai plus honte d’en parler, de le partager. Je ne souhaite pas que l’on s’apitoie sur mon sort. Je ne cherche pas la compassion. Je suis comme je suis, entière, avec des défauts et je pense des qualités. Ce passé, cette souffrance, représentent aujourd’hui ma force.

Je m’appelle Aurélie, fille unique, et aujourd’hui, après des années de reconstruction de mon moi intérieur,
j’ai retrouvé le goût de vivre.