Histoire de la prévention du suicide
en France.

Avec l’aimable autorisation de Monsieur Arnaud Campéon.

Arnaud CAMPEON est chargé de recherche au laboratoire d’analyse des politiques sociales et sanitaires. Dans l’article De l’histoire à la prévention du suicide en Franceparu dans Actualité et dossier en santé publique (ADSP) en 2003[1], il nous livre quelques-uns des points essentiels suivants[2] , auxquels j’ai ajouté des dates et événements clé :

 

La suicidologie, qu’est ce que c’est ?


La suicidologie est une approche scientifique, qui observe les causes propres à l’individu (psychiatrie), ou celles dues à la société (sociologie), du passage à l’acte.


La suicidologie s’intéresse également, de manière post-mortem, aux raisons qui ont poussé au geste suicidaire.

La postvention est le domaine de la suicidologie qui s’intéresse aux mesures d’accompagnement, de soutien et d’intervention à la suite d’un suicide.

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19ème siècle

Le mot suicide est un néologisme datant du XVIIIe siècle. Il est mentionné pour la première fois en 1737 par l’abbé Desfontaines (meurtre de soi-même) et repris par les encyclopédistes du siècle des Lumières.

Le Code pénal napoléonien (1810) promulgue la dépénalisation de l’acte suicidaire.

S’il n’est plus condamné, l’acte suicidaire ne se libère pas pour autant de la réprobation morale qui lui est associée.

En 1838, le médecin français Jean-Étienne Esquirol, fait de la réaction suicidaire un symptôme psychopathique, en raison de sa grande fréquence dans les maladies mentales.

Arthur Schopenhauer, philosophe allemand (1788-1860), indique que le suicide orchestré par la volonté, n’est pas un « vouloir mourir », mais une autre façon de vouloir vivre[3].

Émile Durkheim va, en 1897, fournir une première explication sociologique, faisant de la sorte front aux thèses aliénistes dominantes. À l’aube du XXᵉ siècle, les termes du débat changent donc, et le fait que l’on s’interroge moins sur le principe moral ou immoral du suicide que sur sa nature psychologique et sociale, n’implique pas les mêmes schémas de réflexion dans l’appréhension de l’acte.

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20ème siècle

Sigmund Freud, au tout début du XXᵉ siècle, et ultérieurement Karl Menninger dans les années 1930, ont effectué des travaux dans ce domaine, à partir de points de vue similaires[4]. Leurs théories sur le suicide décrivent trois aspects différents.

→Le suicide est un meurtre impliquant la haine ou le désir de tuer.
→Ce meurtre du soi implique souvent la culpabilité ou la volonté d’être tué.
→Le troisième point est le désir de mourir.

Sigmund Freud décrit deux instincts de base opposés, l’instinct de vie (Éros) et celui de mort (Thanatos). Tous les instincts cherchent à réduire une tension. Sa théorie prédit que le suicide est plus probable dans les sociétés avancées qui imposent de plus fortes répressions de la sexualité et de l’agressivité.

Émergence d’une phase de reconnaissance sociale du suicide : Le contexte est celui d’une société nouvelle en gestation qui marque les premiers pas d’un État-providence résolument décidé à s’occuper du droit à la santé et du bien-être de sa population.

Un exemple type et pionnier en ce domaine, est celui de l’action initiée par le révérend Chad Varah – et de ses samaritains.

Edward Chad Varah (1911-2007), était un prêtre anglican britannique. Très marqué par les premières funérailles qu’il a organisées au début de sa carrière, celles d’une jeune fille de 13 ans morte par tentative aboutie, après qu’elle n’eut trouvé personne à qui parler, il fonda en 1953 Samaritans, le premier centre d’assistance téléphonique de crise pour les candidats au suicide. Cette action lança l’aventure de la téléphonie sociale.

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Les initiatives en France.

L’initiative fait une apparition discrète en France à la fin des années cinquante sous la forme de lieux d’accueil comme Recherche et Rencontre (1958) ou de centres d’écoute comme SOS Amitié (1961).

Dans les années 1940 et 1950, l’écrivain et philosophe Albert Camus, à travers ses deux essais, Le mythe de Sisyphe et L’homme révolté, a également travaillé sur le thème de suicide. Il pose la perte de sens de la vie, comme la condition sine qua non aux pensées suicidaires.

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Les initiatives dans le monde

En 1958, Edwin S. Shneidman (1918-2009), est un psychologue clinicien, spécialiste des questions liées à la suicidologie et à la thanatologie. En collaboration avec Norman Farberow et Robert Litman, il fonde en 1958, un centre de prévention du suicide à Los Angeles. En 1968, il fonde l’Association américaine de suicidologie et une revue d’étude sur le suicide.

Le psychologue américain est considéré comme le fondateur du domaine de la suicidologie. Il a pour objectif d’étudier le suicide de manière scientifique pour tenter de développer des techniques de prévention efficaces.

Au cours des années 1960, aux États-Unis, sous la présidence de J.F. Kennedy, de nouvelles structures médicales, destinées à accueillir les personnes souffrant de tendances suicidaires, sont incorporées au sein des hôpitaux psychiatriques.


Les croyances erronées

La suicidologie a permis de contredire des croyances erronées sur les idées suicidaires, il en résulte les faits observés suivants :

  • Seul un faible pourcentage laisse une note explicative de leur geste.
  • Sur 10 suicidants, 8 ont donné des indices de leurs intentions.
  • Peu de personnes se suicident sans avoir partagé leurs sentiments avec une autre personne.
  • La plupart des suicidants ne veulent pas mourir mais souhaite stopper la douleur qu’ils ressentent.
  • Les taux de suicide sont plus élevés environ trois mois après le début de l’amélioration lors d’un état dépressif grave.
  • 80 % des personnes qui meurent par suicide, ont fait au moins une tentative préalable.
  • Parler du suicide fournit généralement au suicidant, un sentiment de soulagement et de compréhension.
  • Certaines personnes ne connaissent pas les méthodes à utiliser pour se tuer. La tentative est un facteur plus important à considérer que la méthode utilisée.

Inventaire de dépression

Le psychiatre Aaron Beck, considéré comme le père de la thérapie cognitive, met au point des séries de questionnaires, tel que l’inventaire de dépression (1961), permettant d’évaluer en 21 items, de manière plus approfondie le risque suicidaire. Le test propose d’évaluer soi-même – de 1 à 4 – le niveau de notre : tristesse, pessimisme, sentiment d’échec, perte de plaisir, sentiment de culpabilité, sentiment de punition, la baisse d’estime de soi, l’autocritique, les pensées suicidaires, les pleurs, l’agitation, la perte d’intérêt, l’indécision, l’autodépréciation, la perte d’énergie, les changements dans le sommeil, l’irritabilité, les changements dans l’appétit, les difficultés de concentration, la fatigue, la perte de libido.

Selon les résultats, une information sur le degré de dépression peut être recueillie[5].

  • De 0-10 Hauts et bas considérés comme normaux.
  • De 11-16 Troubles bénins de l’humeur (à corriger).
  • De 17-20 Seuil de la dépression clinique.
  • De 21-30 Dépression modérée.
  • De 31-40 Dépression sévère.
  • De 40-63 Dépression extrême.

Urgence de l’écoute

L’association SOS Amitié est reconnue en 1967 d’utilité publique. L’urgence de l’écoute est le leitmotiv principal de ces structures associatives.

L’acte suicidaire est considéré comme un problème de santé publique parmi les plus importants tant par la perte de vies humaines qu’il provoque que par les problèmes psychologiques et sociaux dont il témoigne.

Un enjeu de société

C’est un enjeu de société, inscrit à l’ordre de l’agenda politique, et constitue un travail à la fois scientifique, culturel et politique. Il y a une prise de conscience internationale de la nécessité d’agir, qui transforme le suicide en un enjeu social à défendre au niveau des plus hautes sphères.

Le suicide est désormais étudié sous différentes perspectives, vues comme interactives, où les aspects physiques, psychiques et sociaux sont pris en compte.

Le GEPS[6]

Le GEPS[6] est le premier organe national représentatif de la problématique suicidaire. Il est né, entre autres, des problèmes nouveaux posés par le nombre sans cesse plus élevé d’intoxications volontaires aux barbituriques.

Le GEPS réalise un vaste travail d’information et de mise en visibilité du problème par l’intermédiaire de publications, d’organisation de congrès, de réunions. Son audience demeure réservée à un public déjà avisé.

Reconnaissance publique du suicide par l’OMS, qui publie en 1969 (puis en 1975) un document consacré à sa prévention dans le monde.

Association internationale pour la prévention du suicide (AIPS)

Création en 1961 de l’Association internationale pour la prévention du suicide (AIPS). Il s’agit d’une mobilisation de professionnels, dont de nombreux psychiatres, autour du Groupement d’étude et de prévention du suicide (GEPS) en 1969.

Un fléau refoulé de la conscience collective

Dès le début des années soixante-dix, la thématique du suicide « fléau refoulé de la conscience collective », est mise en avant sous la tutelle de Robert Boulin, alors ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale, avec une volonté affirmée d’accorder une place importante à l’action préventive, – car la réanimation des suicidants et la post prévention représentent des coûts élevés pour la collectivité.

Pour qu’un problème social soit réellement entendu comme un enjeu politique, il doit être techniquement et idéologiquement codifié dans des termes qui sont ceux du jeu politique officiel.

Le VIᵉ plan de santé, a une volonté affirmée d’accorder une place plus importante à l’action préventive. Le constat est sans appel : la réanimation des suicidants est possible, mais suppose des services spécialisés à coût élevé. L’argument est là. Le phénomène suicidaire (suicide et tentative) se traduit par des coûts pour la collectivité : frais constitués principalement par des charges financières directes et par des pertes de production.

Légitimé à travers l’importance du préjudice économique engendré pour la collectivité, le rôle de l’État est clairement exposé.

Didier Weber et Jacques Védrinne[7] regrettent, en ce début de la décennie 1980, que « le phénomène suicide préoccupe peu les pouvoirs publics par rapport à d’autres manifestations apparemment plus actuelles, mais infiniment moins mortifères, comme la toxicomanie ».

Condamnation de l’incitation au suicide

En 1982, Inspirés par un vaste courant euthanasique marginal mais bien ancré, Claude Guillon et Yves Le Bonniec entreprennent de divulguer des recettes « sans violence » pour mettre fin à ses jours dans un ouvrage au titre provocateur : Suicide, mode d’emploi : histoire, technique, actualité.

Résolument hostile à toutes mesures de prévention, l’objectif du livre est explicite : donner à chacun les moyens et les informations nécessaires pour quitter sa vie « en toute tranquillité ».

La publication et son équivoque succès, témoignent d’une donnée essentielle quant à la réceptivité sociétale à l’égard du suicide. Se substituant à la condamnation et au blâme qui ont longtemps prévalu, l’attitude libertaire exprimée signe la banalisation du geste. Véritable bombe médiatique, la polémique s’engage rapidement au sein de l’espace public.

Après maintes discussions, une proposition est adoptée en faveur d’une interdiction à la provocation[8]. L’arrêté permet le retrait légal du livre en décembre 1987. Sur le plan législatif, la provocation au suicide est condamnée comme un délit passible de peines correctionnelle.

La mobilisation est intense et un véritable travail de lobbying commence pour tâcher de combler le vide juridique d’une telle provocation à la mort. L’événement donne lieu à la création de l’Association de défense contre l’incitation au suicide (ADIS)


Les programmes nationaux et mondiaux

Le réseau sentinelle

Bien que les premières associations d’écoute datent des années 1950[9], en Angleterre, et en 1958 en France[10] puis 1961[11]les premiers chiffres recueillis sur le suicide, les tentatives de suicides et les idées suicidaires remontent en France à peine à 1984. Le réseau Sentinelles est un réseau de recherche et de veille sanitaire en soins de premiers recours en France métropolitaine. Crée en 1984, il est développé sous la tutelle conjointe de l’Inserm et de Sorbonne Université.

Un enjeu de santé publique

En 1992, c’est un enjeu de santé publique. Le rapport élaboré par le Conseil économique et social sous l’égide du professeur Michel Debout proclame que le suicide est la « seule grande question de société qui n’a jamais été abordée jusque-là par le Conseil économique et social ».

Accentué par la mort par suicide de l’ancien Premier ministre de l’époque, Pierre Bérégovoy (1993), le rapport fait l’objet d’une large diffusion dans la presse professionnelle et la presse nationale généraliste qui signe l’entrée définitive du suicide au sein de l’espace public

Une priorité nationale

En 1996, la prévention du suicide apparaît même comme l’une des dix priorités nationales de santé publique lors de la première Conférence nationale de santé. À l’image des grands fléaux de notre société, le suicide se voit ainsi dédié, sous l’action militante des porteurs constructeurs du problème, une journée nationale du suicide, fixé en France le 5 février de chaque année.

Un programme national

Entre 2000 et 2005, Bernard Kouchner, avec le concours de la direction générale de la Santé, proposa l’élaboration d’une réflexion nationale pour impulser et améliorer la prévention du suicide en France. La légitimité de la cause est désormais renforcée par cette impulsion politique décisive, qui entraîne la mise en place d’un programme national de prévention et d’une stratégie nationale d’action face au suicide.

L’organisation mondiale de la santé

En 2004, l’Organisation Mondiale de la Santé, considère le suicide comme un problème de santé publique énorme, mais en grande partie évitable, tant par la perte de vies humaines qu’il provoque que par les problèmes psychologiques et sociaux qu’il génère en ricochet. Aujourd’hui, ce fléau est à l’origine de près de la moitié de toutes les morts violentes. Selon les estimations le nombre de décès dus au suicide pourrait atteindre les 1,5 million d’individus dès 2020.

L’objectif commun

En 2014, le premier rapport de l’OMS sur la prévention du suicide appelle à une action coordonnée pour réduire le nombre de suicides dans le monde. Dans le Plan d’action global pour la santé mentale 2013-2020, les États membres de l’OMS, s’engagent à œuvrer pour atteindre une cible mondiale consistant à réduire le taux de suicide de 10 % d’ici les années 2020.


[1]Adsp n° 45 décembre 2003
[2]Éléments extraits ou retranscrits du texte original.
[3]https://la-philosophie.com/
[4] Wikipédia
[5]http://www.psychomedia.qc.ca/tests/beck
[6]https://www.geps.asso.fr/
[7]Livre : Suicide et conduites suicidaires
[8]Loi 87-1133 du 31 décembre 1987
[9]Edward Chad Varah (1911-2007), prêtre anglican britannique, fonda en 1953 Samaritans, le premier centre d’assistance téléphonique de crise pour les candidats au suicide.
[10]Recherche et Rencontre
[11]SOS amitié